La résilience alimentaire : stratégies et pistes de réflexion pour votre entreprise

May 22, 2021


Le 17 septembre 2020, Wagralim organisait son événement annuel avec Fevia Wallonie. En pleine crise sanitaire de la Covid-19, la thématique traitée était celle de la résilience alimentaire. A cette fin, Food Connections avait donné la parole à Elisabeth Laville, fondatrice du Cabinet Utopies spécialisé en développement durable territorial. Retour sur cette thématique toujours d’actualité en 2021.

Bilan des impacts
de la Covid-19

La résilience productive est définie comme la capacité pour un territoire donné à faire face lorsque des biens de première nécessité viennent à manquer. Cette situation peut se produire en cas de crise comme suite à des événements climatiques.

A ce titre la Covid-19 a servi de laboratoire, même si les craintes de rupture de la chaîne alimentaire ne se sont pas vérifiées. On peut dire que dans ce cas le système alimentaire a bien résisté, même si le risque d’impact durable sur les entreprises et la sécurité alimentaire (pénuries, émeutes, système de restauration etc.) était pressenti.

Cependant, pour un certain nombre d’entreprises, des tensions ont été constatées : que ce soit au niveau agricole, logistique, accès aux marchés internationaux, disponibilité des emballages ou des matières premières … avec des situations variables d’un secteur à l’autre. Sans oublier la situation du secteur de la restauration, durement touché par les fermetures et autres restrictions.

Cette situation nous amène à nous poser des questions sur les crises à venir.

Stratégies à adopter

Pour aller vers la résilience alimentaire, ou la capacité d’un territoire à assumer sa production locale, il faut en cas de crise parvenir à fournir localement et rapidement … Ceci à l’instar de ce que nous avons connu en 2020 pour les masques, les respirateurs, l’éthanol, lorsque des entreprises se sont adaptées pour produire ces biens qui faisaient défaut.

Il s’agit, en cas de crise, d’assurer un service minimum et de produire localement ce qui n’est plus disponible en s’appuyant sur une stratégie alternative. Il faut ensuite tirer les enseignements de ce qui s’est produit pendant la crise proprement dite.

La stratégie à appliquer fait appel aux quatre concepts suivants :

1. L’agilité productive est autant importante que le fait de produire localement. Ex : Nike a produit des visières au départ de ses composants pour chaussures en 2 semaines seulement, là où toute innovation demande au min. 18 mois.

2.  Mieux distribuer la production au niveau mondial. L’hyper spécialisation ne sert pas les populations (ex. : la Chine est frappée par la crise sanitaire et c’est le monde entier qui n’est plus approvisionné en masques).

3.  La relocalisation ne suffira pas : en effet c’est très complexe, cela demande une planification à long terme et il est compliqué de modifier un système mondial installé depuis des décennies. L’enjeu n’est pas de passer de 2% à 100% de production locale, mais plutôt de travailler par sauts de 10%.  La relocalisation a également ses limites : prix, accès pour les publics défavorisés, logistique etc.

4.  Le dynamisme de l’économie locale : 1/3 de la prospérité dépend de sa capacité à faire circuler la richesse dans l’économie. C’est d’ailleurs ce que les monnaies locales visent : faire circuler la richesse en la conservant localement et transformer la richesse en prospérité.

La période actuelle présente donc une opportunité : trouver un équilibre harmonieux entre le 100% local et le 100% mondial mais aussi créer une relance qui passe par la dynamisation de l’économie locale (qui elle-même représente 1/3 de la prospérité d’un territoire).

Pour arriver à l’agilité productive décrite plus haut, les territoires doivent s’appuyer sur des entreprises qui ont une forte parenté productive avec le produit qui viendra à manquer en cas de crise. La résilience s’appuie sur une production locale minimale (faire face à l’urgence) et sur la capacité industrielle à se réorienter rapidement pour prendre le relai. Alternativement le territoire peut, s’il en a la capacité, réorienter des productions locales à la consommation locale au lieu de les exporter.

Situation actuelle

Où en sommes-nous aujourd’hui en matière de résilience alimentaire ? Prenons les 198 premiers produits qui concernent l’alimentaire (sur 1200 produits qui sont échangés au niveau international, hors activités logistiques et production d’énergie) : comment les pays sont-ils capables d’atteindre le seuil de résilience alimentaire, en s’appuyant sur la production locale ou sur l’agilité productive ?

Les Pays-Bas arrivent en tête (73%), la France est quant à elle 4ème dans le classement avec 63% des 198 produits qui atteignent le seuil de résilience.

La Belgique se situe en 9ème position, avec 60% des produits qui ont atteint le seuil de résilience (ou 49% via l’offre locale : on pourrait ne plus l’exporter et la dédier à la demande locale).

Enfin, nous observons que 6 pays sur 10 n’atteignent pas le seuil sur 30% des produits et 63% des pays ne le sont pas sur au moins un des 8 produits céréaliers phares.

En fonction de la situation de tel ou tel territoire, les stratégies à adopter pour réaliser des sauts productifs seront donc très différentes, selon par exemple qu’une offre locale soit présente ou non.

Comment augmenter ou exploiter les parentés productives ?

Première piste : des outils existent comme les cartographies réalisées par le Growth Lab de Harvard University (Ricardo Haussmann).  Des parentés sont recherchées dans les procédés ou dans les matières premières ou les intrants, ou encore dans les débouchés. Prenons l’exemple des crèmes glacées : il existe de nombreuses parentés avec plusieurs secteurs : aliments pour animaux, eaux sucrées, peintures et vernis (émulsions), produits pour les cheveux, papier et carton… Certaines de ces parentés sont évidentes, mais d’autres le sont beaucoup moins et il faut donc réfléchir en amont afin de les cartographier pour les activer aisément en cas de crise.

Deuxième piste pour arriver à la résilience alimentaire : l’écologie agro-industrielle. Par exemple : ce qui est réalisé sur le complexe agro-industriel des Sohette au nord de Reims. On y trouve 15 usines et centres de recherches qui utilisent la betterave et le blé et mutualisent un certain nombre d’activités : la R&D, la gestion de l’eau, les résidus des uns qui alimentent les autres…  Il s’agit donc d’exploiter un maximum de choses au départ des ressources locales, déchets y compris.

En ce qui concerne la troisième piste : provoquer les sauts productifs même s’ils ne sont pas envisageables car on ne dispose pas de ressources. Un exemple : utiliser les invendus de la distribution (en France, 45% des fruits et légumes ne sont pas consommés).

En quatrième option : nous pourrions imaginer de nouvelles fermes plus agiles et qui ont moins besoin de foncier. Elles sont sobres, intégrées et autonomes, car sous un format « all-in-one ». Elles comprennent également le système d’irrigation, la production et le stockage d’énergie, des capteurs intégrés, un système de réfrigération etc…  On peut aussi nommer les fermes verticales. Ces solutions nouvelles viennent en complément des fermes traditionnelles et non en substitution, et ouvrent surtout de nouvelles portes.

Et enfin en dernière alternative : rapprocher la transformation du site de production ou de consommation. On parlera ici notamment des micro-usines, des usines mobiles (par exemple un abattoir mobile), des usines en containers, qui offrent la mutualisation de l’outil productif. On trouvera ces dispositifs dans certains incubateurs comme FoodWorx à Brooklyn, avec outre l’outil productif, un service qualité, du packaging, de la distribution etc.

Bien entendu ces solutions doivent s’insérer dans une réflexion à l’échelle des territoires, qui doivent diversifier les productions, réfléchir à la planification et à l’aménagement afin de combiner le mode de vie citadin et la production alimentaire. Les territoires doivent également organiser des plateformes logistiques. On citera l’exemple de Manger Bio Isère, une coopérative qui mutualise les livraisons pour les producteurs locaux. De même, les marques locales ou territoriales valorisent les producteurs et les transformateurs locaux.

Pistes de réflexion et d’amélioration

En conclusion, la question de la résilience alimentaire porte en elle mille opportunités mais aussi quelques questions.  Nous touchons à un éventail de nouveaux modèles économiques pour les entreprises et les acteurs des filières, des marques ombrelles pour les producteurs, des solutions commerciales ou logistiques pour les petits producteurs coupés des systèmes de distribution, de nouveaux types de services comme des locations d’usines mobiles, des plateformes de fabrication collaboratives, une verticalisation de l’offre avec des filières alimentaires intégrées, et enfin des offres économiques reposant sur des fonds d’investissement locaux, des incubateurs…

Certes, il reste des questions à élucider, comme tout d’abord la place du digital et de la quatrième révolution industrielle, la robotisation, l’impression 3D etc… Quel enjeu cette révolution représente-t-elle sur la résilience alimentaire ?

Ou encore, quelle coopération imaginer entre les entreprises et les territoires ? Comment exploiter au mieux les friches industrielles, comment gérer l’accès au foncier, comment organiser la géographie productive (hubs concentrés ou dispersion), quelle part pour les solutions mobiles ? Et enfin, en lien avec les deux questions précédentes : comment construire le juste prix au sein des filières locales ?

Cette présentation par Mme Laville a permis au public connecté au Food Connections 2020 d’ouvrir des pistes de réflexion et d’innovation, en s’appuyant sur de multiples exemples, au départ de la question de la résilience alimentaire, qui touche aux situations de crises, et de façon plus large en lien avec la question de l’ancrage local de la production alimentaire en Belgique et en Europe.