Régénérer l’agriculture et l’agroalimentaire : un impératif de résilience, une opportunité de coopération territoriale

October 22, 2025


Et si l’avenir du secteur agroalimentaire belge se jouait non plus à l’échelle de la parcelle, mais à celle du territoire ?

Le secteur agroalimentaire face à des bouleversements systémiques

En Belgique comme ailleurs, le secteur agroalimentaire est soumis à une multiplication de crises systémiques : dérèglement climatique, raréfaction de l’eau, érosion de la biodiversité, pression sur les prix, instabilité géopolitique des flux d’approvisionnement.

Le changement climatique, par ses impacts sur la fertilité des sols, les rendements, et l’eau, fait déjà sentir ses effets. Les fortes pluies alternées à des sécheresses prolongées rendent la production agricole plus aléatoire. La volatilité des matières premières s’accroît, et avec elle la fragilité de chaînes de valeur globalisées.

Parallèlement, la pression réglementaire augmente. Les grandes entreprises agroalimentaires doivent aujourd’hui rendre des comptes sur leur scope 3, c’est-à-dire les émissions indirectes liées à leurs chaînes d’approvisionnement – en particulier les pratiques agricoles. Cela crée une dynamique de cascade : les industriels doivent embarquer leurs fournisseurs, sous-traitants et producteurs agricoles dans des trajectoires de réduction d’impact et de traçabilité.

Mais comment enclencher une transformation profonde quand tous les acteurs sont déjà sous pression ? Et comment éviter que la transition ne devienne un facteur de fracture entre agriculteurs, industriels et distributeurs ?

De la logique d’exploitation à la logique de régénération

C’est ici qu’intervient un changement de paradigme : passer d’une logique de réduction des impacts négatifs à une logique d’impacts positifs net[EV1] [SB2]  s, tel que le propose l’économie régénérative.

L’entreprise régénérative, telle que théorisée par Christophe Sempels et mise en œuvre via la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC), n’est pas simplement une entreprise « responsable » ou « durable ». C’est une entreprise qui cherche à réparer, restaurer et renouveler les écosystèmes et les liens sociaux qu’elle mobilise.

Appliquée à la chaîne de valeur agroalimentaire, cela implique :

  • de ne plus considérer les ressources naturelles comme de simples intrants à optimiser, mais comme des actifs vivants à préserver et à régénérer – qu’il s’agisse du sol, de l’eau, de l’énergie ou de la biodiversité ;
  • de reconnaître l’interdépendance entre tous les acteurs de la chaîne : la santé d’un sol cultivé conditionne la qualité d’une matière première, qui conditionne la performance industrielle, qui influence à son tour la satisfaction du client final. Toute la chaîne est connectée, et donc vulnérable… ou résiliente, selon la façon dont elle est structurée ;
  • de passer d’une logique de contractualisation descendante à une logique de coopération écosystémique :
    il ne s’agit plus seulement de fixer des exigences techniques ou de durabilité à ses fournisseurs, mais de construire ensemble des trajectoires de transformation réalistes et ambitieuses, en partageant les risques, les coûts et les bénéfices. Cela suppose un changement de posture : écouter, comprendre, co-investir, et aligner les priorités de long terme ;
  • de renforcer la résilience collective à l’échelle des territoires, en favorisant des dynamiques circulaires, des synergies inter-entreprises, la relocalisation de certaines productions ou l’optimisation de l’usage des ressources (eau, énergie, déchets, coproduits) ;
  • d’intégrer la rémunération des services écosystémiques et la valorisation des efforts de transition dans les modèles économiques :
    • du côté des producteurs : rémunérer le stockage de carbone, la préservation de la biodiversité, la qualité de l’eau ou la sobriété d’intrants ;
    • du côté des industriels : intégrer ces critères dans leurs référentiels d’achat, leurs contrats, et leurs innovations produits ;
  • du côté des distributeurs et des marques : être capables de valoriser objectivement ces engagements auprès des consommateurs, avec des produits traçables, transparents, et des différenciateurs de prix compris et acceptés.

Cette vision régénérative de la chaîne agroalimentaire est exigeante, mais elle est aussi source d’innovation, de coopération et de performance durable. Elle transforme des contraintes en leviers d’action collective.

Du champ à l’assiette… en passant par le territoire

Historiquement, la chaîne agroalimentaire a souvent été pensée selon une logique segmentée : chaque acteur se concentre sur son maillon — production, transformation, distribution — avec peu de coordination sur l’ensemble du système.

Or, dans un monde où les intrants sont multiples, les process complexes et les ingrédients d’origines variées, cette vision cloisonnée ne permet plus de répondre aux défis actuels.

Ce qu’il faut désormais activer, c’est une logique systémique et territoriale, qui considère l’ensemble des pratiques, des flux, des interdépendances, mais aussi les impacts — environnementaux, sociaux, économiques — à l’échelle d’un bassin de vie.

Cela ne signifie pas une circularité au sens strict (comme on la conçoit pour des matériaux recyclables), mais plutôt une cohérence globale et une réduction continue de l’empreinte tout au long de la chaîne de valeur.

Par exemple, en agriculture de conservation, les rotations longues (légumineuses, céréales, engrais verts…) ne peuvent être mises en œuvre efficacement que si plusieurs fermes s’organisent ensemble. L’accès à des débouchés rémunérateurs, la gestion de la fertilité, la protection contre les maladies ou la sécheresse peuvent alors être optimisés collectivement.

En Wallonie, des collectifs comme Farm For Good accompagnent déjà notamment des groupes de producteurs dans des transitions coordonnées, avec des résultats très concrets en matière de fertilité, stockage de carbone et stabilité des rendements.

Mais pour que cela fonctionne, il faut embarquer les autres maillons de la chaîne : coopératives, industriels, logisticiens, distributeurs. C’est à cette condition qu’on peut répartir les efforts, mutualiser les coûts… et partager les bénéfices.

Le rôle des entreprises : catalyseurs de coopération

Aujourd’hui, les entreprises agroalimentaires ont un rôle stratégique à jouer : non plus uniquement en fixant les prix ou les standards, mais en devenant parties prenantes actives de la régénération des territoires dont elles dépendent.

Cela peut passer par :

  • des contrats pluriannuels avec prime à la régénération (carbone, biodiversité, eau),
  • des investissements dans des infrastructures agroécologiques (haies, zones tampons, stockage de l’eau),
  • la co-construction de filières locales résilientes, y compris pour des cultures aujourd’hui en difficulté (pommes de terre, betteraves, etc.),
  • la reconnaissance du rôle des agriculteurs comme prestataires de services écosystémiques.
  • et enfin, un travail d’innovation collectif sur l’ensemble de la chaîne :
    développement de nouvelles variétés plus adaptées aux conditions climatiques futures, nouveaux outils de culture, procédés de transformation plus sobres ou circulaires, solutions de traçabilité et de pilotage de l’impact…

En contribuant à restaurer les écosystèmes locaux, les entreprises sécurisent non seulement leurs approvisionnements, mais aussi leur licence sociale à opérer dans un monde de plus en plus exigeant en matière d’impact.

La CEC : un levier structurant pour transformer ensemble

C’est précisément cette bascule systémique et coopérative que permet la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC).Dès janvier 2026, la CEC déploiera en Belgique son premier parcours de transformation, réunissant des entreprises décidées à construire ensemble des modèles économiques plus résilients, coopératifs et alignés avec les limites planétaires.

Au cœur de sa démarche :

  • un parcours en 6 sessions alliant apports scientifiques, mise en réseau, intelligence collective ;

  • une vision systémique, articulée autour des limites planétaires et du plancher social ;

  • une feuille de route régénérative coconstruite par chaque entreprise ;

  • un ancrage territorial fort, avec une logique de coopération locale entre acteurs économiques, agricoles, publics et citoyens.

Lancée en 2022 en France, la dynamique de la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) continue de s’amplifier aujourd’hui avec plus de 1 400 entreprises qui se sont désormais engagées dans ses parcours de transformation. Ensemble, elles incarnent une nouvelle manière de faire du business, fondée sur la régénération et l’impact positif.

À ce jour, près de 750 feuilles de route ont déjà été rendues, traduisant un passage concret à l’action.

La CEC Belgium ambitionne aujourd’hui de mobiliser les acteurs agroalimentaires wallons et flamands pour construire des trajectoires adaptées à leurs réalités : filières longues ou courtes, circuits export ou locaux, pratiques agricoles ou industrielles.

Conclusion : régénérer, c’est durer ensemble

Le secteur agroalimentaire belge n’a jamais été autant sous tension. Mais il n’a jamais été aussi légitime pour incarner une nouvelle voie : celle d’une performance régénérative, où la valeur ne se mesure plus seulement en tonnes ou en marges, mais aussi en santé des sols, résilience hydrique, biodiversité fonctionnelle, qualité nutritionnelle, relations de confiance.

Cette voie n’est pas une utopie. Elle est déjà en marche. Et elle ne peut se construire que collectivement, à l’échelle des territoires, avec des leaders qui osent regarder au-delà de leur périmètre immédiat.

Vous êtes une entreprise agroalimentaire belge ? La CEC Belgium vous donne les moyens, le cadre et la méthode pour entrer dans cette dynamique collective.

Rejoignez le mouvement : http://www.cec-belgium.org/

Wagralim est partenaire de la CEC Belgium. Vous souhaitez échanger avec notre équipe sur ce parcours ? 

Contactez cecile.fontaine@wagralim.be ou delphine.dauby@wagralim.be